Si le gibier vivant se mérite et que le gibier mort se respecte, voici comment, à travers ce texte, je rendrai honneur à une proie de ma chienne.
Pourquoi substituer les instincts naturels de prédation qui sommeillent au fond de nous ; au nom de sensibleries purement humaine ? Pourquoi tant de répulsion à tuer un marcassin, et ce d’autant plus, quand ce dernier est blessé mortellement ?
Cette journée était magnifique. C’était une de ces sublimes journées hivernales où les faibles rayons du soleil tentent en vain, mais toujours avec acharnement, à convertir en milles gouttes d’eau les minuscules cristaux de glace agrippés aux végétaux. Subséquemment le thermomètre était tombé (malade ?) en dessous de 0°C. Et pendant ce temps, le Père Noël devait certainement procéder aux derniers préparatifs de son long voyage annuel. Une unique traque est prévue, elle durera 5 heures et sera entrecoupée d’une pause casse-croûte sur place ! L’enceinte n’est autre qu’une immense vallée : le matin le premier versant sera chassé et l’après midi le second. J’ai très hâte d’y être car j’adore ce coin ! Les consignes de tir sont données, seul le sanglier sera ouvert pour cause de « battue de destruction ». Cependant la laie meneuse et les grosses laies au dessus de 50kg demeurent tabou, dixit le capitaine de chasse. Une fois les équipes établies et les chasseurs partis, nous traqueurs, attendons encore un peu auprès du foyer du rendez-vous de chasse. Une petite heure plus tard, nous voici fin près pour démarrer. Nous sommes positionnés de haut en bas du premier flanc et nous pousserons vers le fond le plus proche de la vallée. En effet, l’enceinte traquée n’est autre qu’une immense vallée entonnoir où coule, en son fond, un ruisseau aujourd’hui pris dans les glaces. Une fois le coup de trompe donné, j’avance de dix mètres et lâche mon chien. La truffe au sol, il disparaît alors en quelques instants.
Au fur et à mesure que nous avançons, de nombreux sangliers sont vus. Nous entamons à présent la partie principale et évidemment la plus intéressante : un énorme roncier s’étalant dans une ancienne coupe à blanc, mais tout en restant à l’abri de la forêt. En fait une sapinière que la ronce avait totalement envahie et était à première vue impénétrable… Des épines, de la ronce, et encore des épines à perte de vue.
Cependant à peine étions nous entrés dans cette masse piquante que les récris des chiens résonnent en splendides échos. Ainsi nous avançons de plus belle à la recherche des bêtes noires cachées sous ce dôme encore vert. Les ronces s’accrochent à nos vêtements et avec leurs griffes, tentent de freiner notre progression. Une ou deux fois, quand cela est possible, nous levons la tête au dessus de cette mer verte pour prendre une bouffée d’air avant de replonger. Nous étions comme des phoques sous la glace et nous voulions notre « poisson » !
Les chiens sont partis derrière une grosse compagnie de sangliers, nous devons à présent les attendre avant de pouvoir repartir. Nous entendons de nombreux coups de feu. Au bout d’un quart d’heure les chiens reviennent enfin. Ils sont tous là sauf trois, dont le mien qui manque à l’appel. Nous décidons tout de même de continuer la traque. J’appelais encore et encore ma chienne, mais le son de sa clochette ne parvenait jamais à mes oreilles… Je me tenais prête à m’enfoncer dans les profondeurs du roncier lorsque je sentis une présence à ma gauche. Mon regard se tourna lentement vers une ombre noire, la partie pointue située à l’avant de cette tâche était dirigée dans le sens opposé de la traque. C’est alors que je fis un bond de côté en hurlant. Effrayé, certainement bien plus que moi, le sanglier fila comme une flèche à travers l’épais roncier. C’est comme cela, le métier de traqueur. Il est remplit de magnifiques moments et la palette d’émotions est infinie ! D’ailleurs combien de fois l’adrénaline n’a pas pris possession de mon être alors que je devais marcher à quatre pattes pour échapper aux griffes des ronces ? Cette drôle de sensation qui me fait craindre de tomber nez à boutoir avec une laie meneuse, un keiler accro au tabagisme (ça, c’est pour les cigarettes),…
Quasiment une heure plus tard et quelques égratignures de plus aux mains et au visage, nous voilà finalement sorti de ce terrible, mais excitant roncier. Je pense tout de même qu’il y a des atomes crochus entre moi et ce roncier… Tiens ! Mais qui revoilà ! Ma chienne ! Je la vis au loin rejoindre notre groupe, alors je l’appelais de plus belle. Une fois qu’elle fut arrivée à ma hauteur en remuant de la queue, câlins et autres félicitations fusèrent. Peu de temps après ce petit moment de joie et surtout de soulagement, elle était déjà repartie en quête d’autres sangliers. Nous escaladons à présent un nouveau flanc et arrivons sur un petit plateau recouvert de fougères glacées. A ma gauche se trouvait le fond de la vallée que je ne pouvais apercevoir depuis ma position puis la traque de l’après-midi, l’autre flanc. J’étais béate d’admiration devant les merveilleux attraits que la nature déployait devant moi. Je ne me rendis pas compte tout de suite de la chance que j’avais et regrettais amèrement de ne pas pouvoir immortaliser ce paysage sur papier glacé. (Mon Kodak était resté dans la voiture de Papa…) De l’autre côté se dessinait les contours d’une forêt d’épicéa. Cette dernière avait revêtit sa sublime robe couleur de neige, ce qui cachait ses dessous vert et bruns. Mais qui plus est, ses milliards de perles scintillaient sous les feux du soleil. Devant moi je distinguais le bout de la première traque. Maintenant de candides arbres et des prairies gelées attendaient patiemment notre venue. Cependant pour l’heure, je profitais du moment de répit dont je disposais pour contempler ce paysage féerique, digne des plus belles cartes postales.
Mon voisin de droite me tira de ma courte rêverie et nous voilà parti pour la dernière heure de traque avant la pause. Adieu splendides images, véritables douceurs pour des yeux vifs… Toutefois, malgré un rapide croissant, la faim me tiraillait ardemment… Subséquemment ma progression en fut affectée. J’avais de plus en plus de mal à ne pas être distancée des autres traqueurs. Et par-dessus tout, voilà que mon dos commence lui aussi à s’exprimer. La douleur avait trouvée le moyen de se faufiler dans mes jambes grâce aux nerfs. Les nombreuses escalades ne m’avaient pas fait trop de bien… Vivement qu’on fasse la pause de midi car j’avais prévus les médicaments contre la douleur pour la coupure ! Pour l’instant je serrais les dents. Enfin la fin de la première traque fut sonnée. J’attachais vite mon chien, revenu entre temps, avant de suivre les traqueurs jusqu’à la voiture transportant nos déjeuners. A moins que ce ne soit une hallucination due à mes douleurs dorsales, la chienne m’entraînait dans un paysage lunaire… Etions-nous en train de traverser un champ de bataille ? Fi ! Il s’agissait bien d’une prairie givrée où se trouvaient des millions de petits cratères ! Incroyable ! Mon regard se porta alors sur ma gauche… Le fond de la vallée était encore plongé dans l’ombre, mais je pouvais nettement distinguer les colossaux ravages des bêtes noires. Littéralement, chaque mètre carré de prairie était retourné et re - retourné ! Je me demandais alors si le propriétaire de cet ex herbage, ne voulait pas se reconvertir dans l’agriculture… biologique ? En effet, il n’aurait plus besoin de machine agricole, les sangliers se chargeant volontairement (enfin à quelques asticots près) de labourer la terre. De plus cela lui faciliterai considérablement la tâche: il n’aurait plus qu’à semer les graines dans les boutis. Je suis sure qu’elles germeraient à condition … de clôturer !
Après avoir gravis une nième côte, nous étions enfin arrivés aux voitures des chasseurs postés non loin. J’attachais ma chienne à l’une d’elle et allais chercher mon sac. Pleine d’espoir je cherchais mes médicaments, mais je ne les trouvais point. Mince…
Le repas se passa dans une ambiance joviale et bon enfant. Une fois les cafés bus et les « bredele » (qui sont de mises dans cette région les avant-veille de la nativité) mangés, nous démarrons la seconde traque. Je me trouvais au milieu de la ligne des traqueurs, « ceux du haut » s’engouffrèrent immédiatement dans des ronciers alors que nous « ceux du bas », n’avions qu’à traverser la futaie clairsemé de fougères aigles et continuer tranquillement. Ma chienne était partie rejoindre les traqueurs dans les ronciers. Elle avait raison, les sangliers s’y étaient baugés et j’entendais, avec l’envie de les rejoindre, les cris des chiens ! Cependant le terrain était bosselé et cela n’atténuait pas mes douleurs. Je peinais à avancer et le Monsieur armé, se situant à ma droite m’indiqua de le suivre. Au dessus de nous, nous entendions les traqueurs hurler à la houe, mais aucun sus scrofa ne vînt dans notre direction. Néanmoins, nous vîmes quand même plusieurs chevreuils. J’avais de la peine à suivre le Monsieur, mais maintenais mon allure en serrant les dents. Nous dûmes nous arrêter car les traqueurs « du haut » avançaient plus lentement. Nous entendons encore une fois les chiens aboyer, puis crier. Peu de temps après, les traqueurs hurlent à la houe et un coup de feu tombe. La nouvelle ne se fit pas attendre, tout le monde parmi la ligne des traqueurs était content qu’un sanglier ait été tiré. Soudain un cri aigu transperça le silence qui venait de s’installer : soit les chiens avaient attrapé un sanglier, soit une bête noire avait été blessée. Le second cas me paraissait le plus probable car nous n’entendions aucun aboiements. Ouf, le tireur allait donc achever sa proie ! Mais en entendant toujours l’animal hurler à la mort, je me demandais si effectivement quelqu’un était en train d’abréger les souffrances inutiles de l’animal.
J’indiquai alors au Monsieur que j’accompagnais que j’allais vérifier ce qui se passait. Ainsi malgré mon mal de dos, je pris une grande bouffée d’air et commençais mon ascension. Le terrain était composé de sortes « d’étages » et je crapahutais à quatre pattes (pour soulager mon dos et aller plus vite) sur le sol gelé. On annonça alors que des marcassins se trouvaient au chaudron. Tout en avançant je vérifiais si le chaudron ne se trouvait pas dans mon champ d’action puisque je ne voulais surtout pas avoir à faire à la laie... Pendant ce temps l’animal poussait toujours ses malheureux cris. Je me rapprochai de plus en plus du théâtre de l’action. Bientôt j’arrivai sous le dernier « étage », mais malheureusement je ne pouvais rien voir de ce qui s’y passait… Une fois le dernier socle gravis, quelle ne fut pas ma surprise ! A deux mètres de moi se trouvait ma chienne tenant fermement entre ses crocs la source des cris d’agonies : un marcassin !
Je regardais autour de moi et constatait effectivement que personne n’était là pour achever le petit animal. Ce n’était pas le moment de penser pourquoi personne d’autre n’était présent car il fallait abréger dans l’immédiat, les souffrances de ce marcassin. Je sortis alors ma précieuse dague de son fourreau est couru vers les deux animaux. Ma chienne avait attrapé le marcassin au bas du dos en lui cassant ainsi les reins. Ce dernier tentait en vain d’échapper à la mâchoire du chien en se traînant à l’aide de ses deux pattes de devant.
Mon cœur battait la chamade et mes douleurs dorsales avaient disparues, laissant place à cette drôle de fièvre et à une grande détermination ! Je pris la chienne par la peau du cou pour la tirer en arrière et lui faire lâcher prise. Une fois le marcassin libéré des crocs de Tania, ce qui ne pris que quelques secondes, je le plaquais au sol sur le côté. Ensuite j’entrais la lame de la dague au défaut de sa patte avant avec le plus de force possible. Le marcassin arrêta alors instantanément de hurler. Je le lâchai et allait retenir ma chienne. L’animal se traina encore sur quelques centimètre et s’affaissa. J’attendis tranquillement que la vie ait quitté l’enveloppe corporelle du petit animal, en respirant profondément pour reprendre mon souffle et me remettre de mes émotions. Je félicitais la chienne tout en sachant très bien qu’elle n’avait fait que remplir son travail de chien donc de prédateur. Mais pourquoi sont-ce toujours nos auxiliaires canins qui capturent puis tuent de « si mignons petits bébés » ? Simplement parce qu’ils sont l’illustration même de la cruauté de la nature (Jean de La Fontaine disait si bien que la loi du plus fort était TOUJOURS la meilleure). Subséquemment ils montrent et sont ainsi la preuve que la nature ne connait aucune sensiblerie lorsqu’il s’agit de prédation ! Par contre, nous humains, sommes « ramollis » par ce que l’on appelle l’anthropomorphisme. Je cite : « on ne tire pas de bébés ! » Effectivement ils ont raison, il ne faut pas se comporter comme des barbares !
Continuons… Une fois le marcassin parfaitement mort (je le vois encore aujourd’hui mourir devant mes yeux), je nettoyais un minimum la dague et sortis un gant en plastique de ma poche que j’enfilai pour porter le marcassin. Me voilà à présent en route pour retrouver les traqueurs, mais la chienne qui tentait fréquemment d’arracher sa proie de ma main, ralentissait mon retour.
Au bout de 200 mètres environs, les traqueurs m’attendaient. Le premier que je rencontrais tenait un fusil à la main et me dit avec un certain dégoût de jeter « ça » dans un buisson. Je lui rétorquai que non et qu’il méritait comme tous autre gibier d’avoir les honneurs au tableau. Je m’éloignais en redescendant vers le Monsieur que j’avais suivi tout à l’heure en emportant le rayé. Une fois arrivé auprès de lui je lui dit en rigolant que les porteurs de fusil tiraient les gros et que ma chienne attrapait les petits. Misère… Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ! Le Monsieur m’annonça alors qu’une laie suitée, provenant d’un chaudron, avait été tirée et que ses petits avaient tenté de la suivre pour fuir les chiens. Ce peu d’humour se révéla finalement n’être que la triste vérité. Ma chienne m’avait permis d’achever un orphelin et donc de lui éviter une mort terrible. Mais qu’était-il alors advenu des autres marcassins ? Le monsieur me répondit qu’il n’en savait pas plus.
La dernière demi-heure de traque passa vite. La chienne ne me lâchait pas d’une semelle puisque je détenais toujours le petit mâle qu’elle convoitait tant. Une fois que nous fûmes arrivés aux voitures, je demandais un sachet pour transporter le petit animal jusqu’au rendez-vous de chasse.
Le tableau fut présenté et la mère du marcassin était bien au tableau. Nous avons pu constater qu’elle allaitait 6 petits. D’ailleurs le tireur (le traqueur qui m’avait dit de jeter le marcassin dans un buisson) reçu une amende car la laie dépassait la limite de poids, autorisée…
J’apprendrai aussi par la suite que des chasseurs postés ont aperçu des marcassins du même calibre que celui que j’avais achevé, tout seul, cherchant leur mère. Mais il est vrai que l’on ne tire pas de « bébés »… Une totale ineptie quand on sait que les jours suivant conserveront leur froide blancheur…
C’est cela la « Noble Ethique » de certains ? Laisser crever misérablement de jeunes orphelins. Certains critiquent ma vision des choses, mais moi j’ai beaucoup d’interrogation pour une telle superbe éthique !
P.S : cela me fait bien rire (jaune)… On déplore l’explosion des populations des sangliers à l’échelle nationale ; on se dit qu’il faudrait peut être y remédier ; mais finalement on ne fait rien pour être en adéquation avec ses propos…