bouchet
Nombre de messages : 9 Age : 72 Localisation : Jura Emploi : Romancier, eleveur de chevaux et chasseur Loisirs : chasse, pêche, nature et écriture de romans Date d'inscription : 12/01/2010
| Sujet: Extrait du roman " La belle tille " Sam 20 Fév - 9:42 | |
| Le pharmacien avait planté son appareil photo. Il estima encore la distance en gambant et tapa dans ses mains. - S’il vous plaît, un peu de silence. Je vais immortaliser cette belle journée. Les chasseurs sont priés de s’aligner derrière le tableau de chasse. Dans un brouhaha, les heureux élus se poussaient et le cordon se forma. Le borgne regardait dans tous les sens, il le vit. - Jean ! Qu’est ce que tu fous ! Tu as entendu ? Il traversa la foule, tout rougissant. La Jeannette devait sûrement le voir. Il s’installa sur le côté, en essayant de prendre un air naturel. Le pharmacien glissa sa tête sous la soutane de l’appareil photo. Le silence était religieux. Il réapparut tout décoiffé et ordonna : - Serrez-vous plus ! Jean place-toi devant, au premier rang et au milieu ! 55 Alors là ! C’était sûr, la Jeannette et la Madeleine savaient qu’il était devenu un chasseur, un homme, quoi ! Après ce rituel, le vieux Bosquet compta les pièces de gibier et annonça à haute voix : - Neuf lièvres, trente lapins, dix ramiers et trois perdrix. Une bonne ouverture ! Un rigolo ajouta : - Et une vipère ! Hein Riri ! - Sans oublier la vipère que Léon viendra débarrasser. Les rires fusèrent et les gosses entourèrent le grand-père. Il frappa de sa canne ferrée devant chaque lièvre en réfléchissant. - Veuve Morel, veuve Bordat, veuve Clerc, mère Baverel... C’était la distribution des veuves, la coutume. Chaque épouse de soldat tombé pendant la grande guerre avait droit à un lièvre. S’il était célibataire, c’est la mère qui la remplaçait. Chaque nom égrené tirait des larmes comme devant le monument aux morts, le 11 novembre. Le silence pesait. Sept noms étaient gravés dans la pierre mais le vieux Bosquet en distribuait huit. Il s’était justifié un jour : « Pour la veuve de Félix aussi. Ce n’est pas parce qu’il a été fusillé comme mutin qu’elle ne l’a pas pleuré autant que les autres veuves ». Il choisissait les plus gros pour les familles nombreuses et pour la veuve Prillard qui n’avait pas d’enfant. Personne ne savait pourquoi mais personne, non plus, n’avait osé lui poser la question. A la fin du partage, il frappait dans ses mains et s’adressait aux gamins. - Vous avez bien retenu ? Allez, filez ! Les gosses se précipitaient, se chamaillaient, se poussaient. Car ils savaient que certaines veuves étaient plus généreuses que d’autres. Quand ils allaient porter les lièvres de porte en porte, l’un repartait avec une pièce de cent sous et l’autre avec un caramel ou pire avec deux oeufs. 56 Les invités au festin passaient alors à table. Les bouteilles passaient d’une main calleuse à l’autre. Les bocaux de pâté s’ouvraient avec un petit sifflement. Les rires éclataient. C’était la fête, une vraie. Chacun racontait la sienne, une histoire de chasse bien sûr ! Le vieux Bosquet, debout, faisait semblant d’épauler un gibier imaginaire. Jean l’entendait à peine mais connaissait les propos pour les avoir entendus maintes fois. - Les Lefaucheux ! Il n’y a pas mieux ! Vous me faites rire avec vos fusils sans chiens… Si le lièvre vient de la gauche, tu le caches avec le chien gauche en appuyant sur la détente et paf il roule…S’il vient de la droite… Bien sûr qu’il fait de la fumée et alors ?… Mais tu n’as pas besoin de redoubler puisqu’il est déjà mort…
[code] | |
|